La plupart des femmes enceintes caressent l’espoir de pouvoir allaiter leur bébé en douceur et sans soucis. Cela pour de bonnes raisons, car l’allaitement a de nombreux bienfaits sur la santé de la mère et de l’enfant. Pour le nourrisson, l’allaitement contribue à réduire les risques de morbidité infectieuse, obésité infantile, diabètes de type 1 et 2, leucémie, syndrome de mort subite du nourrisson. Pour la mère, le fait d’allaiter réduit les risques de risques de cancer du sein préménopausique, de cancer de l’ovaire, de diabète de type 2, de crises cardiaques et syndrome métabolique. L’allaitement facilite également la perte du poids pris lors de la grossesse.1
L’allaitement est aussi très gratifiant sur le plan psychologique et apporte une sensation de bien-être. Kerstin Uvnäs Moberg, professeur reconnue dans le monde entier pour ses recherches sur l’ocytocine, a été la première à étudier les propriétés anti-stress de cette molécule, en s’inspirant de sa propre expérience d’allaitement.2,3 Quand elles parlent de l’allaitement, certaines femmes évoquent une sensation de bien-être ainsi que l’impression de flotter sur un nuage. Cette sensation nouvelle et ce nuage d’ocytocine ont des causes bien réelles, tant hormonales que physiologiques. Pour les femmes qui ont été victimes de maltraitance, un allaitement réussi peut aussi avoir un effet plus que positif.4 On ne peut que s’émerveiller en constatant combien le corps de la femme est incroyablement bien conçu : les fonctions les plus fondamentales de la vie (enfanter et allaiter) peuvent s’avérer extrêmement enrichissantes pour la mère si elle bénéficie d’un soutien bienveillant et pertinent de sa famille et des professionnels.
À partir de là, la meilleure chose à faire est bien sûr de se préparer au mieux. Sur le plan individuel, plusieurs facteurs peuvent améliorer les chances de succès d’un allaitement. Si certains facteurs échappent à notre contrôle, la plupart sont faciles à maîtriser.
Dans la mesure du possible, en choisissant dans votre région un hôpital certifié « ami des bébés », vous mettez toutes les chances de votre côté pour allaiter dans les meilleures conditions possibles. Pour être certifiés « hôpital ami des bébés », les établissements doivent avoir mis en place dix mesures documentées de soutien à l’allaitement.5
Il est également bien connu que les complications obstétricales ont des incidences sur l’allaitement. C’est pourquoi le choix d’une maternité ou d’un hôpital adapté est un moyen supplémentaire pour améliorer votre expérience d’allaitement. Des organisations nationales axées sur la maïeutique, la lactation et l’allaitement néonatal/obstétrique se sont regroupées pour mettre en place une « Initiative hôpital ami des mères » (Mother-Friendly Childbirth Initiative). À l’instar de « l’Initiative hôpital ami des bébés » (IHAB), dix étapes ou mesures parfaitement documentées régissent les pratiques d’accouchement dans les hôpitaux certifiés. Cette initiative étant relativement récente, très peu d’hôpitaux ont reçu cette distinction à ce jour. Vous pouvez toutefois vous servir de ces dix critères comme checklist pour trouver un établissement adapté et connaître ses pratiques en matière d’accouchement.
Participer aux réunions d’un groupe de soutien entre mères est également une excellente idée (en particulier dans les communautés où l’allaitement n’est plus pratiqué depuis des générations) car l’allaitement est un savoir qui se transmet. Les groupes de soutien entre mères apportent des conseils pour les aider à savoir à quoi s’attendre, anticiper les éventuels problèmes et les résoudre avant qu’ils ne deviennent de véritables obstacles.
Même avec de telles précautions, si certaines mères bénéficient de conditions idéales pour bien débuter leur allaitement, on constate que d’autres sont confrontées à des complications pendant l’accouchement ou ne bénéficient pas de soins obstétriques appropriés, ce qui peut nuire à leur capacité à allaiter. Que peut faire une mère pour mettre toutes les chances de son côté après des débuts un peu compliqués ?
Favoriser les contacts physiques prolongés fait partie des solutions possibles. Cela a été démontré récemment par une étude contrôlée qui cherchait à déterminer l’intérêt du porte-bébé (comme outil potentiel et facilement accessible) pour prolonger la durée de l’allaitement chez les mères à faible risque.6
Cette étude confirme les nombreuses expériences individuelles connues d’utilisation du porte-bébé comme moyen pour favoriser l’allaitement, y compris dans des cas où les conditions d’accouchement n’étaient pas optimales et nécessitaient des soins postnataux.
L’étude portait sur 200 mères issues de la classe moyenne du sud de l’Italie. Malheureusement, aucune des participantes n’avait accouché dans un hôpital se conformant aux initiatives « ami des bébés » ou « ami des mères ». Plus de 60 % des accouchements ont été réalisés par césarienne. Plutôt que de laisser la mère et le bébé ensemble après l’accouchement (que celui-ci soit ou non par césarienne), ils étaient systématiquement séparés, et il fallait attendre entre 3 et 6 heures pour qu’ils puissent se retrouver. Aucune des mères ayant participé à l’étude n’a eu la possibilité d’être en contact physique avec son bébé, ou de commencer l’allaitement dès la première heure suivant la naissance.
Les 200 mères de l’étude ont été divisées en deux groupes. Les femmes des deux groupes provenaient de milieux socioéconomiques similaires avec des conditions d’accouchement comparables. Les deux groupes ont été informés sur l’allaitement en général et sur l’organisation de l’allaitement à l’hôpital. L’un des deux groupes (appelé « groupe porte-bébé ») a en outre reçu un porte-bébé, adapté aux nouveau-nés. Chaque femme de ce groupe a suivi un cours de 30 minutes sur l’utilisation du porte-bébé, et a été invitée à l’utiliser aussi souvent que possible, ou au moins une heure par jour, au cours du premier mois après la naissance.
Pour les chercheurs, il s’agissait surtout de déterminer le nombre de femmes qui pratiquaient un allaitement exclusif et combien pratiquaient une autre forme d’allaitement aux deux mois puis aux cinq mois de l’enfant, la fréquence des tétées pendant le premier et le deuxième mois, et l’utilisation ou non d’un porte-bébé au cours du premier mois.
Un chercheur qui expérimente une nouvelle méthode ou un nouvel outil dans le cadre d’une étude contrôlée se préoccupe essentiellement de savoir dans quelle mesure le « groupe expérimental » accepte l’outil (cet aspect est strictement encadré) car plusieurs informations clés en découlent. Un des premiers éléments est naturellement de savoir si les participantes sont en mesure de se servir de l’outil proposé et disposées à le faire. Le travail de recherche peut également fournir des informations sur les raisons pour lesquelles l’outil n’a pas été adopté, ou l’a été moins que l’espéraient les chercheurs. Par ailleurs, il est possible d’établir un parallèle entre ce sous-groupe (qui n’a pas utilisé l’outil comme attendu) présent dans le groupe expérimental et le groupe de contrôle (qui n’a pas reçu l’outil au début de l’étude, d’où son nom de « groupe de contrôle »).
Les chercheurs ont observé que sur les 100 femmes qui ont reçu un porte-bébé, 69 s’en sont servies plus d’une heure par jour. À l’inverse, 31 n’ont pas utilisé le porte-bébé. Les raisons évoquées pour ne pas utiliser le porte-bébé étaient les suivantes : douleurs causées par la césarienne, pleurs du bébé qui refuse d’être porté, et sentiment pour la mère d’inconfort avec le porte-bébé.
Même si les taux d’allaitement étaient similaires dans les deux groupes à leur sortie de la maternité, l’allaitement était beaucoup plus pratiqué par les mères appartenant au « groupe porte-bébé », aussi bien aux deux mois de l’enfant (74 % contre 51 %) qu’à ses cinq mois (48 % contre 24 %). Le nombre de mères qui allaitaient exclusivement au lait maternel était nettement supérieur pour le groupe porte-bébé sur les deux périodes (47 % contre 32 % à 2 mois, et 8 % contre 1 % à 5 mois).
Les 31 mères du groupe porte-bébé qui n’ont pas utilisé les porte-bébés avaient un taux d’allaitement identique à celui des mères du groupe de contrôle.
En observant la fréquence des tétées quotidiennes, on constate que les mères du groupe porte-bébé étaient les plus nombreuses à allaiter leur bébé plus de sept fois par jour : 44 % contre 16 % au cours du premier mois, et 28 % contre 10 % au cours du deuxième mois après la naissance. Les mères de ce groupe étaient également plus nombreuses à allaiter leur bébé trois fois ou plus pendant la nuit : 35 % contre 10 % lors du premier mois, et 8 % contre 0 % lors du deuxième mois.
On peut se demander pourquoi les chercheurs s’intéressent au nombre de tétées quotidiennes. L’une des raisons est que l’estomac des nouveau-nés a un volume relativement réduit et nécessite des tétées fréquentes. L’augmentation progressive du volume de l’estomac du bébé coïncide parfaitement avec ses cycles de sommeil, qui sont de plus en plus longs pendant ses deux premiers mois.7 Un allaitement qui ne suit pas la physiologie naturelle des cycles de sommeil et de digestion du bébé peut affecter le développement de l’enfant. À l’heure actuelle, les professionnels de la lactation recommandent très officiellement d’allaiter en fonction des besoins du bébé.8 On peut donc ignorer les recommandations plus anciennes qui préconisaient d’habituer l’enfant à être allaité à heure fixe, car ces recommandations ne reposaient sur aucune base scientifique.7 Le lait maternel est en outre digéré rapidement, souvent dans les 90 minutes qui suivent la dernière tétée. C’est la raison pour laquelle il est préférable de moins prêter attention à l’horloge qu’aux signaux envoyés par le bébé. C’est effectivement plus facile si la mère est en contact rapproché avec son bébé (quand il est porté, par exemple).
Toutes les mères qui ont utilisé le porte-bébé étaient prêtes à le recommander à leurs proches. Cela montre bien qu’elles l’ont trouvé à la fois agréable et pratique, et qu’il les a aidées à combler leurs attentes vis-à-vis de l’allaitement. À bien des égards, il est donc vraiment dommage que presque un tiers des femmes ayant reçu un porte-bébé dans le cadre de cette étude ne l’aient pas utilisé.
Ces dernières années ont vu le développement d’une nouvelle spécialité professionnelle : les « moniteurs de portage ». Les conseillers en portage suivent une formation théorique et pratique dont la durée varie suivant les établissements de formation auxquels ils sont rattachés. L’objectif principal des conseillers en portage est d’accompagner les mères qui veulent s’essayer au portage. Ils mettent à profit leur expérience et leurs connaissances pour aider les parents (ainsi que le père et les autres personnes qui s’occupent de l’enfant, famille ou professionnels, idéalement) à trouver le porte-bébé le plus adapté (car il existe désormais des dizaines d’options différentes). Ils aident également à surmonter les difficultés inhérentes à l’utilisation d’un porte-bébé, comme celles décrites par les mères de l’étude.
Faire appel, avant la naissance, à un conseiller en portage peut s’avérer très bénéfique pour bien démarrer avec l’allaitement et vous mettre, vous et votre famille, sur la bonne voie pour commencer votre aventure dans une atmosphère agréable, saine et enrichissante, ce qui aura une réelle influence sur votre santé et la relation avec votre enfant, à court et long terme.
Références :
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- Uvnas-Moberg K. Oxytocin Factor: With a New Foreword: Tapping the Hormone of Calm, Love and Healing. 2nd edition. London: Pinter & Martin Ltd; 2011.
- Moberg KU. The Hormone of Closeness: The Role of Oxytocin in Relationships. Reprint edition. Pinter & Martin Ltd; 2013.
- Wood K, Van Esterik P. Infant feeding experiences of women who were sexually abused in childhood. Can Fam Physician Med Fam Can. 2010;56(4):e136-e141.
- Pike USNL of M 8600 R. THE GLOBAL CRITERIA FOR THE BFHI. World Health Organization; 2009. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK153487/. Accessed December 13, 2017.
- Pisacane A, Continisio P, Filosa C, Tagliamonte V, Continisio GI. Use of baby carriers to increase breastfeeding duration among term infants: the effects of an educational intervention in Italy. Acta Paediatr Oslo Nor 1992. 2012;101(10):e434-e438. doi:10.1111/j.1651-2227.2012.02758.x.
- Bergman NJ. Neonatal stomach volume and physiology suggest feeding at 1-h intervals. Acta Paediatr Oslo Nor 1992. 2013;102(8):773-777. doi:10.1111/apa.12291.
- LLLI | Cue feeding: Wisdom and science. http://www.llli.org/ba/may99.html. Accessed December 15, 2017.
- Lauwers J. Counseling the Nursing Mother: a lactation consultant’s guide. 5th edition. Jones & Bartlett Learning; 2011: 491.